Dixon : entre famille, santé et les exigences d'une tournée
Questions & Réponses avec Dixon
Si vous lisez ceci, vous savez probablement que Melodic Diggers est à l'origine un groupe Facebook créé pour partager musique, vidéos et news à propos de ce style musical que nous aimons tant. Notre intérêt pour le label allemand Innervisions nous a menés à créer un second groupe dédié à leur musique : Innervisions Fans. Nous sommes d'ailleurs très heureux de voir à la fois fans et artistes y contribuer et échanger, et devenir plus proches que jamais.
Dixon, co-fondateur et star du label, a récemment proposé à ses fans de lui poser des questions, pour qu'il puisse en choisir quelques-unes et y répondre. Après avoir publié cette interview exclusivement sur le groupe, nous avions envie de lui offrir un meilleur medium en la publiant également ici.
• T'arrive-t-il de jeter un oeil à ce groupe lorsque tu t'ennuies ?
Oui. Mais je me demande si ce n'est pas comme dévaliser le frigo à 4h du matin puis le regretter.
• Combien de chemises possèdes-tu ?
Entre 50 et 70, mais ce ne sont que des chiffres. Les chemises sont des objets saisonniers, qui vont et viennent. Je ne garde que celles que j'estime être des pièces iconiques.
• Comment vois-tu la scène techno dans 10 ans ?
Honnêtement, je refuse de penser à l'avenir. Ce serait de la nostalgie inversée, cela m'empêcherait de saisir les opportunités qui viennent non pas chaque année, chaque jour, mais chaque heure désormais. J'essaye de profiter de ce qui m'entoure et de saisir chaque instant tant qu'il en est encore temps. La culture a disparu pour toujours à travers l'uniformité. Nous ne devrions vraiment pas chercher à savoir à tout prix comment sera demain, mais plutôt nous concentrer sur ce qui se passe maintenant.
• Qu'est-ce qui fait que tu es spécial, ou du moins différent des autres DJ ? Et comment as-tu pu cultiver cette différence pendant toutes ces années, comme en témoigne le classement Resident Advisor et tes fans qui ont vu ton style musical évoluer tout en restant au sommet.
C'est une question très difficile comme vous pouvez vous en douter. Si je réponds en me décrivant, je vais apparaître comme arrogant. Si je me décris comme les autres me voient, je risque d'apparaître comme détaché. S'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que je ne suis ni spécial ni différent. J'essaye seulement de me spécialiser dans une chose, un style, apprendre encore et encore et repousser les limites. Puis je pars à la recherche de quelque chose de nouveau que je peux découvrir par moi-même et rendre accessible et attrayant pour les autres.
• J'imagine que tu as plus d'offres de booking que tu n'en acceptes. Quels sont les facteurs qui entrent en jeu lorsque tu choisis à quels events tu vas jouer ? Ce serait très intéressant pour nous de avoir comment tu fais ces choix.
C'est en réalité beaucoup plus compliqué que ce que la plupart des gens s'imagine, il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu. Il faut tous les prendre en considération, puis peser le pour et le contre pour atteindre un certain équilibre. Permettez-moi de commencer par quelque chose qui n'est pas nécessairement lié à une gestion de carrière DJ ou impliqué dans les choix de booking d'un DJ : la santé.
Cela fait quelques années que je prends des vacances en Janvier et Février, c'est une période de l'année où je recharge les batteries. J'en ai besoin pour faire abstraction des mauvais côtés des tournées : pas de sommeil, pas de confort, parfois pas de nourriture ou junk food, beaucoup de bruit, la cigarette, l'alcool, la drogue, l'agressivité et beaucoup de gens exigeants. Je veux être ouvert à la musique et à ces personnes, qui elles veulent danser et passer un bon moment. En plus de cela j'essaye de faire un petit break avant et après l'été, pour survivre à l'intensité des festivals et d'Ibiza.
Le plus dur lorsqu'on prend une longue pose, c'est de redémarrer la machine. En plus de repartir doucement et d'augmenter le tempo progressivement, je privilégie les shows plus intimistes et plus faciles, et je ne remplis pas mes week-ends au maximum. Quand je joue quatre longs sets à la suite en été, ou même deux dates par jour, je ne suis pas mort en arrivant chez moi. Car après deux nuits mon corps commence à s'ajuster à ce rythme et accepte le fait de ne pas pouvoir dormir plus pour le moment. Mais ça veut aussi dire que lorsque je peux à nouveau dormir, mon corps en demande encore et encore. C'est pourquoi après la première vraie nuit de sommeil qui s'ensuit, je suis épuisé car mon corps veut rattraper le sommeil en retard. C'est mental.
Et c'est là qu'intervient ma famille. C'est peut-être le seul facteur sain en dehors de la santé qui a une forte influence sur mon choix de dates où je vais jouer. Et c'est évidemment le facteur le plus difficile à mesurer. Heureusement, j'ai commencé à voyager pour mon travail avant d'avoir une famille. Donc ma décision de prendre toujours le dernier vol depuis Berlin, et le premier vol pour rentrer à la maison n'a pas de goût amer pour moi. Je ne partirai jamais plus d'un week-end si je n'ai pas ma famille avec moi. D'autres DJ pourraient se rendre en Amérique du Sud pendant 2 à 4 semaines pour jouer au Brésil, en Argentine, au Chili et au Pérou en même temps. Mais pour moi ce n'est jamais plus de 3-4 jours en dehors de l'Europe. Même quand je vais dans les endroits les plus éloignés ou les plus fantastiques.
Cela nous amène à la fréquence que j'essaie de maintenir dans mon choix de bookings. J'ai 36 week-ends pour jouer dans l'année. Il fut un temps où je jouais 140 gigs dans ce laps de temps. Au cours des quatre dernières années, j'ai essayé de réduire le rythme d'environ 10% par an, je joue moins de shows mais des sets plus longs. Mais au cours de ces quatre années, les fans et les médias se sont beaucoup concentrés sur mes sets, ce qui a donné l'impression que je jouais plus que d'habitude. Ce qui n'est pas vrai. En 2018, je ferai environ 90 dates. Cela paraît toujours beaucoup, mais cela signifie que je ne serai pas capable de jouer dans une ville à laquelle je me sens connecté plus d'une fois. Dans certains cas, avec 90 dates, je ne serai pas en mesure de visiter un pays plus d'une fois. Bien sûr, les rares exceptions sont Berlin, Londres, New York, Paris, Amsterdam et Offenbach.
Désormais quand je joue dans une certaine ville, je veux évidemment que ça compte, pour le public, le promoteur et moi-même. Heureusement, je travaille avec beaucoup de clubs ou de promoteurs depuis plus de 10 ans. Il y a une confiance mutuelle. Pourquoi est-ce que je fais une distinction entre les clubs et les promoteurs ? J'ai joué à l'ouverture de Robert Johnson. Depuis ce moment, Robert Johnson est devenu l'un de mes clubs préférés au monde. A Paris il n'y a pas de tel club. Mais il y a un promoteur, Haïku. Je joue pour Nadir et Adrien depuis un certain temps maintenant, nous sommes devenus amis et nous avons exploré de nombreux lieux ensemble. Une année, nous optons pour petit, l'année suivante pour plus grand. Créer un show unique et mémorable n'est pas nécessairement lié au choix de lieux intimistes. Avec un promoteur comme Haïku, il est facile d'expérimenter et de faire de grands événements sans perdre crédibilité ou plaisir.
Et puis il y a l'argent. Bien sûr, l'argent joue un rôle. Je ne l'exclurai jamais, mais je ne permets pas à l'argent d'influencer mon jugement. Jouer quelques dates qui payent bien me permet de faire quelques shows qui rapportent peu.
Et le dernier facteur pour moi serait de planifier à l'avance. J'imagine que même moi je ne peux pas y échapper. C'est chiant. Je parle de planifier certains shows peut-être 8-12 mois avant. Cela implique inévitablement de ne pas connaître ma situation en juillet 2018 lorsque j'ai planifié les dates de ce mois avec mes bookers Catherine et Dominik en novembre dernier. Peut-être que je vais déménager. Ou mon fils aura plus que jamais besoin de moi puisque c'est son dernier mois avant d'aller à l'école. Ou je me suis blessé en jouant au football. Pour faire simple : toute cette précieuse planification ressemble parfois aux maths d'un imbécile qui est dépassé par la vie.